La traductrice et l’escroc

Il était une fois une traductrice plus si jeune dont l’activité avait tellement décru qu’elle s’était résolue à consulter les annonces des plateformes professionnelles idoines. Après des mois et des mois de propositions aux tarifs insultants, elle crut voir se profiler à l’horizon une offre alléchante. La traductrice répondit sans se poser de questions, tant elle était désespérée de se reconstituer une clientèle.

Hélas! À peine son interlocuteur lui avait-il répondu qu’elle commença à s’interroger. Ce monsieur prétendait représenter une agence d’intérim de renommée mondiale et agir en tant qu’intermédiaire pour un site d’informations anecdotiques mais fort intéressantes sur internet, mais il était évident qu’il n’avait pas la moindre connaissance de la profession: le volume hebdomadaire qu’il faisait miroiter était trois à quatre fois supérieur à ce que les traductaires étaient capables de produire sans que la qualité en pâtît, et il n’avait pas songé un instant qu’une tierce personne devrait assurer une relecture des textes. La tâche exigeait également l’achat d’un logiciel, à l’utilisation duquel le client s’engageait à former la traductrice et qu’il rembourserait. Par ailleurs, le moyen de paiement – à l’avance chaque semaine – était incompatible avec les règles de société de portage salarial qui soutenait la professionnelle.

Une longue et laborieuse discussion s’engagea. La traductrice prit le temps d’éduquer l’intermédiaire sur les pratiques usuelles de son métier, obtenant rapidement une réévaluation de sa rémunération prenant en compte celle d’une consœur de confiance qui assurerait la révision. Elle parvint également à limiter le nombre d’articles qu’elle traduirait afin de ne pas s’enfermer dans le modèle de client unique qui l’avait desservie par le passé. L’espoir d’une collaboration fructueuse revenait à mesure que la négociation progressait.

Seule demeurait la question du versement des honoraires. Le monsieur s’obstinait à ne proposer qu’un modèle qui ne convenait pas, au point de suggérer de se passer de la société de portage et de transférer les sommes directement à la traductrice, en toute illégalité, ou d’utiliser des pratiques encore plus douteuses. Elle refusa, évidemment, réitérant les options légales acceptées par sa structure. L’ombre du doute commençait à s’insinuer dans l’esprit de la prestataire consciencieuse, qui se transforma enfin, un peu tard, en réelle suspicion lorsque son interlocuteur, après lui avoir demandé de transmettre une copie de ses papiers d’identité afin de finalement avaliser un moyen de paiement convenable, exigea d’avoir accès à des documents encore plus confidentiels. Alors seulement, la traductrice prit le temps de se renseigner plus avant; elle constata que tout ce qu’elle avait entrepris se révélait vain, que d’autres annuaires de traductaires avaient dénoncé l’individu peu scrupuleux.

Elle avait perdu un mois et dépensé de l’énergie pour une supercherie, importuné son interlocutrice à la société de portage et fait miroiter à une amie une collaboration qui ne se concrétiserait pas. Sa déception s’éclairait cependant d’une petite lueur: elle en ressortirait plus sage et moins naïve, et aurait une histoire à raconter.

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